Chicoutimi
Les chercheurs brisent la
glace
Par
Dominique Forget
Pour la majorité des Québécois, la tempête de
verglas de janvier 1998 restera gravée dans la mémoire comme un
événement incomparable. Et pourtant, cet épisode n'était pas sans
précédents. Dans les années 1970, à deux reprises, de sérieuses tempêtes
de neige et de verglas avaient fait tomber une dizaine de pylônes
d'Hydro-Québec dans la région de la Côte-Nord. Quoiqu'ils aient plongé
dans le noir une partie de la population, ces incidents n'ont pas eu que
des conséquences fâcheuses. Ils ont aussi servi d'élément déclencheur à
la création du Groupe de recherche en ingénierie de l'environnement
atmosphérique (GRIEA), un centre de renommée internationale rattaché à
l'Université du Québec à Chicoutimi (UQAC).
« L'UQAC est située en milieu
nordique, déclare Masoud Farzaneh, coordonnateur du GRIEA. Lors des
épisodes de glace atmosphérique des années 1970, il était naturel
qu'Hydro-Québec se tourne vers les chercheurs de Chicoutimi pour l'aider
à résoudre les problèmes liés au givrage. » Au cours des trente
dernières années, l'UQAC s'est bâti une solide réputation dans le
domaine du givrage atmosphérique. Le GRIEA réunit aujourd'hui une
cinquantaine de professeurs, chercheurs, étudiants, professionnels et
techniciens.
En parallèle aux activités du GRIEA,
qui portent sur des sujets très diversifiés, des groupes de recherche
ultra-spécialisés dans divers domaines du givrage se sont formés à
l'UQAC. Ainsi, le Laboratoire international des matériaux antigivre
(LIMA) se consacre à l'étude du dégivrage des avions. Par ailleurs,
l'UQAC a obtenu en 1997 le feu vert pour lancer la Chaire industrielle
CRSNG/Hydro-Québec/UQAC sur le givrage atmosphérique des équipements de
réseaux électriques (CIGELE). « La chaire est rattachée au GRIEA,
mais son mandat est beaucoup plus spécifique », précise M. Farzaneh
qui, en plus de superviser les travaux du GRIEA, agit comme titulaire de
la CIGELE. « Comme son nom l'indique, la CIGELE concentre ses
activités uniquement autour de l'étude des équipements
électriques. »
L'infrastructure dont disposent les
scientifiques de la CIGELE n'a rien d'ordinaire. Il y a un an, une
subvention de près de trois millions de dollars a servi à la
construction d'un tout nouveau pavillon dédié aux travaux réalisés par
l'équipe du professeur Farzaneh. « Nous sommes maintenant dotés
d'une infrastructure ultra-moderne comprenant un tunnel réfrigéré et
trois chambres climatiques. L'une de ces chambres est munie d'un toit
ouvrant qui permet de recueillir la neige et de simuler différents types
de glace atmosphérique. » Les équipements comprennent également
plusieurs appareils haute tension, dont un générateur de chocs de 800
000 volts ainsi que deux transformateurs de 350 000 et 120 000 volts.
Les chercheurs peuvent ainsi reproduire en laboratoire les phénomènes de
givrage des équipements haute tension. En plus des simulations
physiques, l'équipe procède à des simulations par ordinateur ainsi qu'à
des observations sur le terrain.
« Les problèmes auxquels
s'intéresse la CIGELE sont de deux ordres, explique le professeur
Farzaneh. D'abord, nous étudions les problèmes mécaniques. Il peut
s'agir, par exemple, de la rupture de conducteurs ou de la chute de
pylônes, causées par le vent, le givre ou la neige. En second lieu, nous
étudions les problèmes électriques, comme le contournement des
isolateurs. »
Les isolateurs sont des dispositifs
placés entre les pylônes et les fils électriques. Leur fonction consiste
à empêcher le courant qui parcourt le fil d'atteindre le pylône et, par
conséquent, de se propager jusqu'au sol et dans l'environnement.
« Lorsque l'isolateur est couvert de glace ou de neige, le courant
peut être transporté par la fine couche d'eau qui se trouve à la surface
de la glace ou à l'intérieur de la neige. Le courant peut ainsi
contourner l'isolateur et rejoindre le pylône. On assiste alors à des
étincelles spectaculaires et, au grand désarroi des consommateurs, à des
pannes d'électricité importantes. »
L'importance des travaux réalisés par
la CIGELE ne fait aucun doute. « Au Québec, le territoire est
sillonné par plus de 120 000 kilomètres de lignes de transport et de
distribution d'énergie électrique. Évidemment, beaucoup de ces lignes
sont vulnérables au givrage. On peut constater à quel point des efforts
accrus de recherche dans ce domaine sont importants pour notre pays et
pour plusieurs autres faisant face au même problème. La tempête de
verglas de janvier 1998 est venue nous le rappeler de façon
fracassante. »
Les résultats obtenus par ces
chercheurs ont fait l'objet de plus de 150 publications scientifiques
depuis la création de la Chaire en 1997. Trois de ces publications ont
d'ailleurs été retenues à titre de meilleur article scientifique dans le
cadre de concours internationaux. En outre, un des modèles mathématiques
développés par la Chaire a été retenu comme l'une des dix découvertes de
l'année 1999 au Québec. Ce modèle, qui constitue une première mondiale,
sert à prévoir l'arc de contournement des isolateurs recouverts de
glace.
Une autre marque de reconnaissance est
venue du prestigieux Institute of Electrical and Electronics Engineers
(IEEE). Cet organisme américain a confié au professeur Farzaneh la tâche
de créer un groupe d'action qui se penchera sur le problème du
contournement électrique des isolateurs. Les recommandations de ce
groupe, qui comprend des spécialistes de plusieurs pays, permettront
d'établir des normes internationales pour évaluer la performance des
isolateurs destinés aux régions froides.
La renommée de la Chaire a permis à
l'UQAC de nouer de nombreux partenariats, sur le plan tant national
qu'international. « Sur le plan national, nous collaborons
notamment avec les universités Laval, McGill, d'Alberta et de la
Colombie-Britannique, avec l'École Polytechnique de Montréal ainsi
qu'avec Énergie atomique du Canada. Sur le plan international, nous
travaillons avec des chercheurs de l'École Centrale de Lyon en France
ainsi qu'avec les universités de Savoie en France, de Karlsruhe en
Allemagne et Chongqing en Chine. Il va sans dire que les étudiants
bénéficient énormément de ces collaborations. Plusieurs d'entre eux
effectuent une partie de leurs études aux cycles supérieurs dans ces
universités, sous la supervision d'experts chevronnés. »
Selon Masoud Farzaneh, les travaux de
la CIGELE ont permis de faire avancer considérablement les connaissances
dans le domaine du givrage, en plus d'accroître la visibilité de l'UQAC
et de la région du Saguenay - Lac-Saint-Jean. « Grâce à son
leadership mondial ainsi qu'à son infrastructure de recherche imposante
et unique, la CIGELE a fait de la région du Saguenay - Lac-Saint-Jean
une plaque tournante pour la recherche sur le givrage atmosphérique.
Aujourd'hui, l'UQAC arrive à recruter des chercheurs et des étudiants de
calibre international. »
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